LA CHRONIQUE D'ANNE-MARIE

Le début des grandes vacances

Chers amis,

Je sais que ça fait longtemps, je n’ai pas vraiment d’excuse. J’ai commencé des messages pour finalement les oublier dans un amas de fichiers Word, mon ordinateur étant presque aussi bien ordonné (!) que mon appartement... Peut-être est-ce la peur inconsciente de me répéter qui m’empêche d’écrire et ma vie en France doit commencer à vous être plutôt familière. Mais je peux comprendre qu’elle vous fasse rêver puisque parfois je rêve aussi de ce que pourrait être ma vie à Montréal, du début de l’été sur la promenade Fleury, des terrasses et de mon balcon ensoleillé, des barbecues en famille et des lacs des Laurentides.

Je sais que vous non plus n’avez pas été gâtés par mère nature ces derniers temps. Est-ce pire quand on vit dans 35 mètres carrés et qu’on doit sortir prendre le train pour se rendre à des répétitions, des auditions ? Je me rappelle ce 30 mai dernier où je suis sortie d’une audition, subie (oui, je pense qu'on subit les auditions) dans un sous-sol sombre éclairé au néon du pourtant si chic 16e arrondissement, sous une pluie battante avant de courir sous la pluie, tenter de trouver une boulangerie près du métro, abandonner parce que mes pieds n’en peuvent plus et que ce quartier du Trocadéro ce n’est pas l’endroit pour les sandwichs, refaire le chemin inverse vers le métro, entrer dans le wagon qui sent le chien mouillé, marcher encore avec les pieds en feu (parce qu’une audition, ça signifie talons et que j’avais déjà marché de chez moi au RER, du RER au métro, du métro au lieu de l’audition…) pour trouver le fameux RER A pour me rendre dans une lointaine banlieue Garches-Marnes la Coquette) pour une répétition, acheter pour 5 euros une quiche lorraine un peu mollassonne et grasse sur le quai du RER, faire une station, encore marcher pour arriver sur le quai du train de banlieue, qui évidemment en pleine heure de pointe (18 h 45) subit les conséquence du trafic perturbé, trouver mon collègue ténor parmi le nombre incalculable de personnes râlant sur le quai et attendre le train en retard de 15 minutes pour finalement arriver encore sous l’orage dans la dite banlieue de Garches où nous attend une voiture dont les fenêtres ne sont pas étanches, faire 3 h et demie de répétition… rentrer chez moi vers 23 h 30 la peau des pieds toute décollée. Voilà peut-être ce qui vous fait rêver (c’est à cause des noms de ville, non ? Qui ne voudrait pas habiter dans une ville qui s’appelle Marnes la Coquette ?), moi je rêve plutôt de voiture confortable où malgré le trafic on peut écouter des disques, de trains silencieux et inodores...

Mais mai est fini et l’on espère que le temps commencera à ressembler à celui de l’été. Je suis officiellement en vacances même si je prépare plusieurs choses à la fois. J’imagine que ce doit être bien d’être chanteur d’opéra, d’être engagé pour faire toujours le même personnage… chanter Mimi à Montréal, à Paris, à Tokyo. En tant que bonne baroqueuse, je me dois de faire des musiques inconnues ou redécouvertes par des chercheurs… chercher moi-même des partitions, j’ai par exemple passé une heure à la bibliothèque aujourd’hui et plusieurs heures sur le net à chercher aussi. Mon dernier concert en liste était consacré à Élisabeth Jacquet de la Guerre. Joli nom n’est-ce pas ? Une compositrice (vraie rareté) qui a vécu sous Louis XIV. Deux cantates, Sémélé et le Sommeil d’Ulysse…ah ! la mythologie, ça me rappelle mes cours de latin de secondaire 1. C’était à Dardilly en banlieue de Lyon, c’était super malgré les pêches aux fourmis… pas de moustiquaires aux fenêtres = intrusion des bestioles sur les fruits mûrs.

J’ai aussi fait des plans foireux ces derniers mois (ou en québécois :  une coupe de gig poches), j’ai chanté gratuitement dans deux caves, une cave du 15e siècle à Tours et une cave du 12e siècle à Paris… l’un dans l’autre, ça reste des endroits clos où on ne fait pas entrer beaucoup de public, sans lumière et un peu humides mais avec une belle acoustique pour la voix et ça reste fascinant de faire des concerts dans des endroits aussi anciens. Je n’aurai donc pas vu grand-chose de Tours, puisque j’étais au quatrième sous-sol, mais j’espère y retourner car les cerisiers en fleurs devant la gare étaient magnifiques. Et puis, j’ai aussi chanté des extraits du Bourgeois Gentilhomme de Molière, dans une fête de ville (encore une banlieue), dehors sur une place, habillée en costume d’époque, les plumes sur la tête, dans le vent, sous la pluie, à 13 degrés, mais ce fut fascinant, ça demande une énergie incroyable et j’y ai rencontré des comédiens extraordinaires. Et il y a eu un merveilleux concert avec l’Escadron à la fondation Singer-Polignac dans la salle de musique de l’hôtel particulier de la princesse de Polignac, c’était merveilleux.

Mais depuis vendredi dernier, date de ma dernière audition, je suis officiellement en vacances. J’ai pu profiter du Mois Molière à Versailles, genre de festival de théâtre, et j’ai vu un spectacle de rue de la troupe La Dérive du Conservatoire de Montréal en pleine place du marché, je pense que l’accent a bien plu aux Versaillais même les plus guindés. J’ai maintenant plein de temps pour préparer ce qui s’en vient et vous écrire. J’aurai des répétitions en juillet pour un opéra que je jouerai en janvier à Reims, j’ai beaucoup de textes à apprendre. De la musique baroque (toujours) pour le Festival de St-Savin en août. De l’opéra pour le stage que je pars faire vendredi au Cap-Ferret en Aquitaine. Mais j’ai hâte d’être en Normandie avec mes amis, nous avons loué une maison à Dieppe. Un peu de campagne et de vent marin, ça fait toujours du bien surtout avec un petit verre de Calvados.

Est-ce que je suis en train de devenir française ? Peut-être que je prends certains plis, mais je trouve que vivre à l’étranger, ça ouvre l’esprit, ça permet de voir l’autre autrement, de ne pas juger. Je pense que je commence à connaître assez bien les Français et j’accepte avec humour et amour leurs petits travers et leurs grandes qualités.

N’hésitez pas à m’écrire, comme toujours, j’essaierai de vous répondre le plus rapidement possible. J’ai hâte de vous parler de Cap-Ferret, je ne suis jamais allée dans cette région de France encore. C’est donc une histoire à suivre…

Mille bisous de France !

Anne-Marie Beaudette
Versailles, 2013-07-01

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